Elles étaient danseuse de cabaret, sportive, gardienne de phare et militante. Elles ont, de leur temps, fait avancer la cause des femmes. Elles se nomment Joséphine, Annette, Giorgina et Thérèse. Pénélope Bagieu, illustratrice française, leur a consacré (parmi tant d’autres) plusieurs ouvrages sous un titre éloquent : Culottées. Alors, quoi de mieux, pour célébrer la Journée internationale des femmes, que de faire un focus sur leurs incroyables vies?!
1. Joséphine Baker
Née dans le Missouri (États-Unis) en 1906, Joséphine est très tôt confrontée au monde du travail pour subvenir aux besoins de sa famille. Mariée à 13 ans, elle quitte l’école en 1920. S’en suit un second mariage à 16 ans… qu’elle interrompt pour tenter sa chance à Broadway! Repérée un soir de spectacle par la femme de l’attaché commercial de l’ambassade américaine en France, elle se voit proposer d’intégrer le spectacle musical parisien, La Revue nègre.
Après une tournée triomphale en Europe, elle mène Les Folies Bergères en 1927 où, vêtue de son (désormais culte) pagne de fausses bananes, elle y danse sur une musique charleston, alors inconnue dans le vieux continent. Elle monte ensuite sur la scène du Casino de Paris en 1930 en dansant accompagnée de son guépard, Chiquita. Dans la foulée, elle sort en 1931 une chanson à succès, J’ai deux amours.
On la connaît pour ses talents de danseuse, mais beaucoup moins pour ceux d’espionne! Et pourtant, Joséphine est recrutée, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, par le service des renseignements français. Elle est notamment connue pour avoir utilisé ses partitions musicales afin de dissimuler des messages. Pour tous ses services, elle recevra, des années plus tard, la médaille de la Résistance française et les insignes de la Légion d’honneur.
À l’aube des années 1950, après avoir subi une fausse couche et appris qu’elle ne pourrait enfantée, elle se tourne vers l’adoption. Avec son quatrième mari, ils auront onze enfants de différentes origines – sa « tribu arc-en-ciel » comme elle aimait la nommer.
Elle décède d’une attaque cérébrale le 12 avril 1975 à 68 ans.
2. Annette Kellermann
Cela avait mal commencé pour la petite Australienne : atteinte de polio à 6 ans, elle se retrouve dans l’impossibilité de se déplacer sans appareillage. Son médecin lui prescrit alors un sport pour stimuler ses jambes, ce sera la natation. Dès lors, sa vie en sera bouleversée.
À 13 ans, après des heures passionnées de pratique, Annette recouvre la totale capacité de ses jambes. À 15, elle maîtrise toutes les techniques de nage et remporte sa première compétition. À 17, elle enchaîne les exploits : plonge d’une hauteur de 28 mètres, traverse la Tamise sur 27 km et remporte une course de 36 km dans le Danube.
À 19 ans, elle ambitionne de traverser la Manche. Mais après plus de dix heures de nage, elle abandonne. Alors que les hommes peuvent la traverser nus, elle, doit porter une imposante combinaison qui la gêne dans ses mouvements. Elle décide alors de fabriquer son propre maillot de bain, plus confortable et plus pratique, qui dévoile ses bras et épouse son corps. Une audace et un scandale pour l’époque. Et pour cause, lors d’une compétition à Boston en 1907, elle se fait arrêter par la police pour indécence; elle sera relaxée après avoir invoqué l’argument sportif. Qu’importe, Annette y croit et s’obstine, et créé sa propre collection de maillots!
Outre sa carrière sportive, elle se lance dans le cinéma en 1916 où elle tient le plus souvent des rôles de sirène dans des ballets aquatiques, ce qui fait d’elle la précurseure de la natation synchronisée.
Elle s’éteint à l’âge de 89 ans; ses cendres seront dispersées au-dessus de la barrière de corail.
3. Giorgina Reid
Giorgina, née en 1908 en Italie, s’installe rapidement en Amérique avec sa mère. Fillette très curieuse, elle aime lire, apprendre, découvrir, et c’est tout naturellement qu’elle entreprend, des années plus tard, de brillantes études. Cette passion de la découverte et de l’apprentissage ne la quittera jamais.
Arrivée à l’âge de la retraite, elle achète avec son mari une maison sur les falaises de Rocky Point dans l’état de New-York. Mais la falaise souffre d’érosion et, après une tempête, le couple perd 30 cm de son jardin. Son mari envisage de vendre, mais pas Giorgina! Alors, elle se documente et essaie de trouver des solutions pour conserver son jardin. Elle ramasse des débris de bois et de roseaux, et met en place son installation d’après une technique japonaise. Une tempête plus tard, son jardin reste intact!
Situé à l’extrémité de l’île, le phare de Montauk, lui, voit sa falaise reculer chaque jour. Les garde-côtes ont bien tenté de freiner l’érosion, en vain. Ne disposant pas du budget suffisant, le phare est condamné au démantèlement.
En 1971, touchée par la cause, Giorgina présente aux garde-côtes son projet breveté et propose de faire la même chose pour le phare… gratuitement. Pendant quinze ans, tous les dimanches, avec son mari et quelques volontaires, ils se consacrent inlassablement à l’aménagement de la falaise. En 1985, le phare est définitivement tiré d’affaire.
À la fin de sa vie, Giorgina souffre d’Alzheimer, mais jusqu’à son décès à 92 ans, elle pourra expliquer les moindres détails de sa technique de terrassement.
4.Thérèse Clerc
Née dans une famille bourgeoise et catholique de la banlieue parisienne en France, Thérèse suit religieusement les principes de sa famille et se marie à 20 ans.
En 1968, année charnière dans l’histoire du pays, elle décide de changer de vie et fait sa révolution personnelle. En cachette de son mari, elle commence une vie de militantisme pour les droits des femmes et découvre que leur première cause de mortalité est l’avortement clandestin. Assez vite, elle rejoint le mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception.
À 40 ans, lasse de sa vie d’épouse, elle demande le divorce, passe son permis, trouve un emploi et emménage avec ses quatre enfants à Montreuil. C’est dans cette ville qu’elle crée, en 1999, l’association La Maison des Femmes de Montreuil, ouverte aux femmes victimes de violence.
La même année, suite au décès de sa mère dont elle s’est longuement occupée, elle réfléchit à un projet de maison destinée uniquement aux femmes et reposant sur des valeurs d’autogestion, de solidarité, de citoyenneté et d’écologie.
Cette anti-maison de retraite, qu’elle appellera la Maison des Babayagas – en référence ironique à des sorcières et ogresses du folklore russe – est réservée à une vingtaine de femmes âgées de 60 à 80 ans, installées dans des appartements individuels à faible loyer. Ici, pas de personnel soignant, pas de chambres médicalisées, les occupantes s’autogèrent et s’entraident pour bien vieillir.
Son projet, qu’elle qualifiait d’« utopie réaliste », est reporté plusieurs fois et à deux doigts d’être annulé au motif qu’il serait « discriminant ». Il est relancé en 2009 par la mairie de Montreuil et ouvre finalement fin 2012.
Thérèse décède le 15 janvier 2016. Depuis, la Maison des Femmes de Montreuil porte son nom.
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